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Alice Renavand : Étoile confinée

Elève à l’Ecole de danse de l’Opéra National de Paris depuis ses neuf ans, aujourd’hui danseuse étoile, Alice Renavand n’a jamais quitté les couloirs du Palais Garnier. Portrait.


Fille d’un chirurgien dentiste et d’une mère au foyer, Alice Renavand n’était pas du tout destinée à la carrière de danseuse étoile. Pourtant, c’est à l’âge de neuf ans, avec seulement une année de pratique qu’elle décide de tenter le concours d’entrée à l’École de danse de l’Opéra de Paris. Son père ne lui laissera qu’une seule chance de réussir. Le concours d’entrée est une compétition redoutée par tous les petits danseurs voulant un jour intégrer le corps de ballet. Tout d’abord, une épreuve de capacités physiques, sorte de sélection naturelle en fonction de la taille, du poids, de l’âge, de la souplesse, de la longueur des tendons, des problèmes de dos… Les danseurs passant ce premier test sont conviés au second : un cours de danse où ils seront jugés en fonction de leurs techniques artistiques. « J’avais fait très peu de danse donc je crois que ce qui leur a plu chez moi c’est le fait que je devais être très malléable et que finalement on avait tout à m’apprendre. » C’est donc à l’âge de neuf ans que la jeune danseuse intègre l’Opéra et son internat. C’est ici qu’elle vit ses meilleures années, insouciante, innocente. Alice Renavand vit un rêve éveillée. Ses journées sont rythmées par des cours scolaires le matin, des cours de danse l’après-midi et par les copains. À neuf ans, ces enfants jouent leur avenir sur les parquets de danse de l’École de l’Opéra de Paris, la compétition entre élèves est immense et tout le monde ne réussit pas mais selon Alice Renavand : « La compétition appelle à la solidarité. En plus, nous étions h24 ensemble, il se trouve que j’ai vécu plus de temps avec mes amis de l’Opéra qu’avec ma grande soeur. »


Cependant, la vie de danseuse laisse des traces, grandir avec l’exigence d’un corps longiligne qui est en constant changement est très difficile à vivre. Mais à cet âge là, Alice Renavand est prête à tout. Elle travaille sa souplesse, ses en-dehors, jusque tard le soir, son père voit alors cela comme de la torture. Mais le travail paye, elle progresse, elle est dans les premières de la classe, si ce n’est la première. Même si l’étape de la pré-sélection naturelle était primordiale lors du concours d’entrée, la danse c’est avant tout beaucoup de travail. Mais il y a un moment où la fatigue prend le dessus, une fatigue physique, une fatigue psychologique, une fatigue d’être toujours dans l’exigence, d’être la plus mince, la plus souple. À 17 ans, la future grande danseuse perd son père des suites d’un cancer, les problèmes personnels s’accumulent, la tristesse et la fatigue prennent le dessus, c’est comme ça qu’Alice Renavand craque. Elle prend très rapidement vingt kilos, l’Opéra la menace alors de la renvoyer. Elle est à deux doigts de tout laisser tomber. C’est alors qu’elle fait une rencontre qui changera et marquera sa vie à jamais.


Pina Bausch, rencontre d’une vie


« Un jour il y a eu une audition pour danser dans le Sacre du Printemps de Pina et l’Opéra m’y a inscrite en se disant qu’ils ne savaient plus quoi faire de moi, que je n’y arriverai pas et que bon « de toute façon elle ne rentre plus dans aucun tutu, la pauvre. » »


Alice Renavand est au fond du studio, devant son idole : Pina Bausch. Une icône de la danse contemporaine, un pilier de l’histoire culturelle et artistique, un véritable génie qui nous a laissé des chefs d’oeuvres tels que le Sacre du Printemps, Café Müller ou encore Orphée et Eurydice, oeuvres sans lesquelles la danse ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. Alice Renavand n’a plus rien à perdre alors elle danse, au fond, derrière toutes ces jolies filles, grandes, fines, longilignes et souples, elle a deux heures pour danser, pour s’amuser devant son idole de toujours, alors elle danse. C’est alors que Pina Bausch, son pantalon large, son col roulé, ses lunettes, sa longue natte et sa cigarette regarde de ses yeux perçants la jeune Alice et la choisi pour danser dans sa compagnie. Les contestations fusent, l’Opéra parle d’un problème de poids, Pina quant à elle, parle d’une jeune femme magnifique, de ses cheveux noirs, de son regard profond, de ses racines vietnamiennes, Pina Bausch voit une femme qui a quelque chose à dire car Pina Bausch voyait à travers ses lunettes et son regard perçant le monde tel qu’il est de l’intérieur et savait en sortir le meilleur de chacun.


« Elle a fait sortir de moi ma colère, ma fragilité et en même temps ma force. Je suis passée de première de la classe à deux doigts de l’exclusion, j’étais en pleine chute et Pina l’a ressenti sans trop parler, mais dans son regard elle a fait paraître l’honnêteté du geste de chacun. »


Pina Bausch a changé sa vie, sa carrière, son opinion d’elle-même et certaines de ses habitudes. En effet, la danseuse et chorégraphe fumait beaucoup et s’octroyait une pause cigarette au sein même du studio. Les danseurs partageant sa manie pouvait ainsi l'approcher. Alice Renavand quant à elle, ne fumant pas, alluma sa première cigarette et s'étouffa devant une Pina Bausch amusée. Pina a finalement été la rencontre d’une vie, une main tendue en pleine chute, le fil conducteur de la grande carrière d’Alice Renavand.





Le 20 décembre 2013 : « c’est un rêve de petite fille qui se réalise »


Ce soir là, le 20 décembre 2013, Alice Renavand danse pour la première fois Le Parc, ballet contemporain d'Angelin Preljoca. Elle est concentrée sur chacun des pas maintes et maintes fois répétés, sur l’émotion qu’elle doit faire transparaitre au public et ne pense à rien d’autre. Le ballet se termine. Alice salue le public. Le rideau se ferme. C’est alors que dans la régie tout le monde se met à courir, la directrice et le directeur général entre en scène. Dans une immense surprise et une joie incommensurable, Alice Renavand est sacrée danseuse étoile de l’Opéra de Paris, le rêve de millions de petites filles mais surtout le sien qui se réalise ce soir là.


Du Palais Garnier au Stade de France


En 2014, bien loin des parquets de l’Opéra de Paris, Alice Renavand fait la rencontre de Nicola Sirkis, chanteur du groupe Indochine et grand passionné de danse et… de Pina Bausch. Tellement passionné qu’il écrit le titre Wuppertal en son honneur et demande à Alice Renavand de danser dans le clip. Pas une seule seconde d’hésitation, c’est une chance absolue, rendre hommage à la femme qui l’a tant aidée, auprès d’un groupe aussi mythique : « c’est un grand honneur ». Alice accepte. « Le clip s’est tourné en seulement 4h un dimanche, je leur ai dit « apportez moi une robe noire et des feuilles mortes » et j’ai improvisé à la Pina. »


« Alors merci, merci de m’avoir choisi

Merci d’avoir cru tellement en moi

Au jour où je suis devenu ce que je voulais

Oui ce que je voulais »


Lorsqu’on lit ces paroles du titre d’Indochine, écrites pour Pina Bausch, on ne peut s’empêcher de penser que l’histoire d’Alice Renavand y est étroitement liée.


Le 26 et 27 juin 2014, Alice Renavand, habituée de la scène du Palais Garnier, chef-d’œuvre de l’architecture théâtrale dont la façade constitue en elle seule toute l’essence de l’art classique et contemporain, représentant la poésie, la musique, la danse, le drame lyrique, dont les murs accueillent depuis des siècles les plus grands opéras, les plus grands ballets, les plus grands artistes et un public passionné et réservé se retrouve devant 80 698 personnes au Stade de France où se jouent les plus grands match de football et de rugby, qui accueillent les plus grands noms de la musique actuelle : les Rolling Stones, Céline Dion, Madonna, Prince, Rihanna, AC/DC, Beyoncé… Ce soir de juin 2014, Indochine et Alice Renavand sont sur scène, devant un public exalté.


« À l’opéra les gens viennent voir un répertoire classique, une oeuvre choisie, souvent vue plusieurs fois, interprétée par de multiples compagnies, chorégraphes et danseurs… ce qui était génial avec Indochine c’est qu’il n’y a eu que moi sur cette chanson, sur cette scène, sur ce spectacle, j’avais la liberté de faire ce que je voulais devant un public en folie. »




La Covid19 : les plaisirs sacrifiés


Les étoiles de l’opéra ne brillent qu’un temps et se voit obligées de prendre leur retraite à l’âge de 42 ans, âge où le corps de ces sportifs de haut niveau ne peut endurer les 180 représentations moyennes par an, les 7 heures de danse journalière, les blessures… certains se doivent même d’anticiper leur fin de carrière car le corps lache. Alice Renavand, 40 ans, vie ses dernières années en tant qu’étoile, ses dernières scènes, ses derniers costumes… mais après une pause pour donner naissance à son enfant, les grèves de l’Opéra contre la réforme des retraites, une blessure et un premier confinement, la danseuse étoile n’a pu profiter que de onze représentations ces deux dernières années, avant que la deuxième vague de la covid19 ne viennent fermer les établissements culturels une nouvelle fois.

Aujourd’hui Alice Renavand est attristée par la situation, à l’heure où elle devrait profiter le plus possible des derniers moments avant la retraite, beaucoup de ses projets sont annulés. Alors qu’elle voudrait tant continuer à vivre, vivre avec le virus, aller au restaurant, à l’opéra, danser devant un public, car selon elle il n’y a rien de plus important et rien de moins risqué que d’aller au théâtre ou à l’opéra.


« On est les sacrifiés pour l’ambiance générale. En fermant on montre l’exemple d’un semi-confinement et cela donne l’impression aux gens qu’il faut malgré tout faire attention. »


Privé de scène, l’Opéra s’adapte, il continu de vivre et de faire briller ses étoiles, mais vit digitalement grâce à la mise en place d’une plateforme de vidéos en live et à la demande composée d’extraits et de spectacles, de ballets et d’opéra afin de continuer à faire vibrer le coeur des passionnés à travers leurs écrans, comme s’ils y étaient pour de vrai. Et pour continuer de faire vivre le mythe , l’Opéra continue de nommer des étoiles, comme Paul Marque, ce dimanche 13 décembre lors de la représentation de la Bayadère. La scène et le public manquent à Alice Renavand et même si elle redoute le moment où elle ne montera plus sur scène, elle commence à réfléchir à son avenir


« Je suis très attachée à la scène et plus la fin approche plus je me rend compte des moments magiques que j’ai la chance de vivre. Je m’y prépare, nous verrons bien, mais il me faudra de nouveaux moyens d’expression. »


Ses projets restent pour le moment confidentiels mais la danse et la scène de l’Opéra de Paris lui manqueront pour sûr. Sa vie de danseuse, bien que périlleuse, lui aura permis de faire des rencontre telles que Pina Bausch ou le groupe Indochine, de vivre des experiences inattendues comme faire parti du jury de Miss France 2019 ou de représenter la France lors du tirage au sort des poules de la coupe du monde de rugby 2023, de porter des costumes tels que la robe du Parc ( son préféré ), d’interpréter d’incroyables ballets, mais finalement son maître mot est d’avoir appris des autres, de s’être ouverte, d’avoir trouvé la force là où on ne la soupçonne pas et d’avoir vécu une carrière immense, qu’elle n’aurait jamais imaginée à 18 ans .

Callmefau



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